Introduction à l’agroécologie dans la viticulture
Depuis plusieurs années, la viticulture agroécologique s’impose comme une réponse durable aux défis environnementaux, mais aussi comme un levier d’amélioration qualitative des vins. En tant qu’œnologue passionné et professionnel du secteur, je m’intéresse de près à ces pratiques qui réconcilient respect de la biodiversité et exigence œnologique. L’agroécologie ne se contente pas d’être une approche écologique : elle transforme en profondeur la manière de cultiver la vigne, influençant la physiologie du raisin et la qualité des vins élaborés.
Qu’est-ce que l’agroécologie en viticulture ?
L’agroécologie est un système global qui vise à harmoniser l’activité viticole avec les équilibres naturels. En viticulture, cela se traduit par l’adoption de pratiques visant à :
- Réduire ou éliminer l’usage des herbicides, pesticides et engrais de synthèse.
- Favoriser les auxiliaires de culture (insectes, oiseaux, champignons bénéfiques).
- Préserver les sols vivants par le travail mécanique superficiel ou le non-travail du sol.
- Maintenir ou restaurer la couverture végétale interrang, via semis ou enherbement naturel maîtrisé.
- Mettre en place des haies, murets, nichoirs et arbres, pour diversifier les habitats.
Ces pratiques s’inscrivent dans une logique systémique, inspirée des cycles naturels et adaptée au contexte spécifique de chaque terroir. Elles ne se limitent donc pas à une conversion biologique : elles exigent une réflexion globale sur l’écosystème viticole. Le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire en France a d’ailleurs publié un guide très complet sur l’agroécologie en 2021, consultable en ligne (https://agriculture.gouv.fr).
Influence des pratiques agroécologiques sur la qualité des raisins
Travailler avec la nature plutôt que contre elle produit des effets mesurables sur la qualité intrinsèque des baies. Plusieurs domaines viticoles pionniers — je pense notamment au Domaine Zind-Humbrecht en Alsace ou au Château le Puy en Bordeaux — montrent depuis plusieurs décennies l’intérêt de ces pratiques sur la maturité et la richesse phénolique du raisin.
Les impacts les plus significatifs portent sur :
- La concentration des composés aromatiques, qui est plus élevée dans les baies issues de vignes cultivées en agroécologie. Les stress hydriques maîtrisés et la couverture végétale stimulent l’expression des composés secondaires (esters, thiols, terpènes) au sein des raisins.
- La densité des tanins et anthocyanes dans les cépages rouges : des travaux menés par l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) montrent un lien entre biodiversité microbienne du sol et synthèse des polyphénols dans les baies de Cabernet Sauvignon.
- Une acidité mieux équilibrée : les sols vivants et la microbiodiversité permettent une maturation plus lente et régulière, avec moins de blocages physiologiques, conduisant à des niveaux de pH plus modérés même au sein des zones chaudes.
En pratique, cela signifie que les raisins arrivent à maturité avec une qualité aromatique optimale et une meilleure capacité d’adaptation à des vinifications plus respectueuses, avec moins d’intrants chimiques.
Conséquences sur le profil organoleptique des vins
Les vins issus de pratiques agroécologiques se distinguent souvent par une expression plus fidèle de leur terroir. À travers mes dégustations professionnelles, j’ai constaté un certain nombre de dénominateurs communs à ces vins :
- Une intensité aromatique plus marquée, sans excès technologique. Les notes variétales s’intègrent mieux aux arômes fermentaires, permettant une lecture plus nette du cépage.
- Des textures plus soyeuses et structurées dans les rouges, surtout sur Pinot Noir, Syrah et Grenache.
- Un équilibre alcool/acidité/tanins souvent mieux géré, en particulier dans les rouges aux macérations longues.
Des producteurs comme La Ferme de la SansonnièreGiachino en Isère représentent pour moi des modèles de réussite agroécologique orientée vers la qualité.
Cela dit, le potentiel qualitatif dépend toujours de la qualité des gestes œnologiques : l’agroécologie ne saurait compenser des pratiques de cave négligées. Mais elle offre un socle vivant sur lequel peut s’exprimer, avec beaucoup de sincérité, l’intention du vigneron.
Exemples de domaines agroécologiques reconnus
Voici quelques exemples de domaines référents dont je recommande vivement les vins et qui illustrent la diversité des approches agroécologiques :
- Domaine de la Soufrandière (Bret Brothers) – Bourgogne : Ce domaine en biodynamie accorde une place centrale à la biodiversité et au respect du vivant dans leurs parcellaires de Pouilly-Vinzelles.
- Mas de Libian – Ardèche : Très engagé dans la vie des sols et la gestion de la biodiversité, ce domaine familial produit des cuvées franches, pures et digestes.
- Clos Canarelli – Corse : Utilise des pratiques agroécologiques sur granites décomposés, avec des résultats impressionnants sur la minéralité et la finesse des blancs issus du cépage Vermentinu.
Ces domaines vont au-delà de la certification bio ou biodynamique : ils cultivent une philosophie de respect global du milieu vivant, ce qui se ressent à chaque étape de la dégustation.
Les défis liés à l’agroécologie en viticulture
Loin d’être une méthode miracle, l’agroécologie impose de nombreux défis, humains et techniques :
- Un besoin accru de main-d’œuvre qualifiée pour gérer les couverts végétaux, tailler au bon moment ou surveiller le développement fongique.
- Des investissements matériels, notamment pour les outils de travail mécanique du sol ou les semences pour apporter de la diversité génétique dans les interrangs.
- Un risque de baisse de rendement à court terme, que seule une montée en gamme par la qualité peut compenser économiquement.
Pour accompagner cette transition, certains labels comme Haute Valeur Environnementale (HVE) ou Demeter permettent aux domaines de valoriser leur engagement, même si ces labels ne sont pas toujours suffisants pour refléter la richesse des pratiques mises en place.
Des perspectives prometteuses et mes recommandations
Selon moi, l’avenir de la viticulture passe nécessairement par une approche agroécologique, dans un contexte de changement climatique qui exige des systèmes plus résilients. C’est un vecteur d’innovation paysagère, sociale et œnologique. La vigne, installée de manière pérenne dans le paysage, peut devenir un modèle de polyculture durable, enracinée dans ses terroirs.
Je conseille aux amateurs de vin curieux d’explorer les cuvées de domaines pionniers cités ici et de lire des ouvrages de référence comme « Le Sol, la Terre et les Champs » de Claude Bourguignon (Éditions Sang de la Terre), véritable manifeste pour la vie des sols, ou encore les travaux de Lydia Bourguignon dans le domaine de la microbiologie des terroirs viticoles.
Les vins issus de pratiques agroécologiques ne racontent pas seulement une histoire de saveur, mais aussi une histoire de respect du vivant qui mérite d’être entendue… et dégustée.

