Un nouveau venu sur la scène œnologique
Autrefois réservée aux sodas et aux bières artisanales, la canette en aluminium est aujourd’hui en passe de devenir un contenant à vin de plus en plus répandu. Le « vin en canette », autrement dit le vin conditionné dans une canette aluminium de 187 ml à 375 ml, connaît une croissance significative depuis quelques années, principalement dans les marchés anglo-saxons comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. En France, pays ancré dans une tradition viticole millénaire, sa percée reste plus timide, mais commence à susciter l’intérêt de certains producteurs et consommateurs.
Ayant moi-même dégusté une vingtaine de références en canette, tant françaises qu’étrangères, je peux attester que la qualité est très variable, mais que certaines cuvées parviennent à surprendre agréablement. Ce conditionnement atypique soulève néanmoins de nombreuses questions sur la perception de la qualité, la durabilité, et le respect des traditions.
Un format en phase avec l’évolution des modes de consommation
Le succès du vin en canette tient, en grande partie, aux nouvelles attentes des consommateurs, notamment parmi les jeunes générations. Ce public est en quête de produits pratiques, nomades, recyclables et en portions adaptées. Selon une étude de Nielsen (2021), le vin en canette a enregistré une progression de 70 % aux États-Unis entre 2018 et 2020, preuve d’un véritable engouement pour ce format.
Parmi les avantages fréquemment cités, on retrouve :
- La praticité : Léger, facile à transporter et sans risque de casse, le format canette se prête parfaitement aux pique-niques, festivals ou apéritifs en plein air.
- Le contrôle des portions : Une canette permet de consommer un produit en petite quantité, sans avoir à ouvrir une bouteille entière. Cela répond à une recherche de modération et de responsabilité dans la consommation d’alcool.
- Le respect de l’environnement : L’aluminium est recyclable à 100 % et à l’infini. À condition que la collecte sélective soit bien assurée, le bilan carbone du transport peut également être meilleur grâce au poids réduit.
Des marques comme Nomadica aux États-Unis ou Petit Cano en France se positionnent clairement sur ce nouveau segment, avec une communication axée sur la durabilité et l’innovation. Ces acteurs misent sur une sélection rigoureuse de leurs cuvées et un soin particulier dans le choix de leurs fournisseurs pour rassurer les consommateurs.
Impact sur la qualité et la conservation du vin
La question de la qualité du vin en canette reste centrale. Le vin est une matière vivante, sensible à l’oxygène, à la lumière et aux températures. Contrairement à une bouteille en verre, la canette est opaque et étanche à la lumière, ce qui est un avantage en soi. En revanche, l’aluminium a longtemps été critiqué pour ses risques de migration et de modification organoleptique du vin.
Aujourd’hui, des progrès notables ont été réalisés concernant les revêtements internes des canettes (liners alimentaires) qui évitent tout contact entre le liquide et le métal. Il faut néanmoins rappeler que :
- Les canettes conviennent mieux à des vins jeunes, fruités et simples, souvent à base de cépages comme le Gamay, le Grenache ou le Colombard.
- Les vins vinifiés pour le long vieillissement ne sont pas adaptés à ce type de conditionnement, car la canette ne permet pas une micro-oxygénation comme le bouchon en liège.
- La date limite d’utilisation optimale (DLUO) est généralement plus courte pour le vin en canette, autour de 12 à 18 mois après mise en canette.
Certains producteurs, comme le vigneron Julien Besson dans l’Hérault, affirment qu’un vin correctement vinifié peut parfaitement supporter l’emballage en aluminium tant que les étapes de conditionnement sont maîtrisées. Dans ses cuvées « Nature Nomade », mises en canettes sans soufre ajouté, les arômes restent nets et précis même après plusieurs mois.
Une menace pour la tradition… ou une évolution du patrimoine vivant ?
Il est légitime de se demander si le vin en canette représente une rupture avec les valeurs du vin traditionnel. En tant qu’œnologue, je suis attaché au respect du terroir, du travail du vigneron et de la transmission du goût. La bouteille en verre, le bouchon naturel, le service en carafe ou à la bonne température font partie de cette culture du vin que nous défendons.
Mais faut-il pour autant exclure toute innovation container au nom d’un dogme ? Le vin est avant tout une boisson de partage et d’émotion, qui doit pouvoir s’adapter à son époque. On peut bien évidemment continuer à faire vieillir des grands crus en cave, tout en permettant à d’autres publics d’apprivoiser le vin dans un format plus accessible.
La loi française encadre strictement la dénomination de vin, notamment à travers le Code rural et de la pêche maritime (article L665-22). Toutefois, aucune législation n’interdit l’usage de différents contenants, tant que le vin respecte les critères de sa dénomination. Un vin de France en canette, s’il répond aux exigences d’étiquetage et de sécurité alimentaire, reste un vin parfaitement légal.
Une diversification qui interroge les filières traditionnelles
Le développement du vin en canette soulève évidemment des inquiétudes dans les filières traditionnelles. Bouteilliers, verriers, tonneliers voient cette mutation comme une menace économique à terme. Toutefois, la segmentation du marché peut aussi être une chance : plutôt qu’un remplacement, il s’agit d’une diversification. La canette pourra permettre la valorisation de certains excédents de production ou des cuvées jugées trop simples pour l’export en bouteille.
Il reste indispensable que cette diversification ne rime pas avec industrialisation systématique et baisse de qualité. Le rôle des œnologues et des sommeliers sera déterminant pour trier les initiatives sérieuses des simples produits marketing. À mon sens, un bon vin, même en canette, doit continuer de respecter :
- Un élevage soigné en cave ou en cuve
- Une vendange de qualité, manuelle ou mécanique mais sans compromis
- Un engagement pour la transparence (origine, cépage, sulfites, etc.)
Avec un marché mondial des boissons en canette en croissance (estimé à 42,6 milliards de dollars d’ici 2030 selon Grand View Research), il serait contre-productif d’ignorer ce mouvement. Certains pays de l’UE, comme l’Allemagne et l’Italie, ont déjà lancé des projets pilotes pour accompagner les producteurs vinicoles vers ce format innovant.
Le vin en canette, un objet pédagogique et social
Je vois aussi dans le vin en canette un formidable outil pédagogique. Il permet à des consommateurs novices de découvrir le vin sans intimider, sans code complexe. On le boit sans carafe, sans guide, parfois même avec une paille. C’est peut-être là le cœur du débat : cette désacralisation est-elle un danger ou une porte d’entrée vers autre chose ?
D’un point de vue strictement œnologique, la canette ne rivalisera jamais avec une bouteille de Bourgogne premier cru vieillie en cave. Mais en tant que professionnel du vin, je suis favorable à tout ce qui permet de reconnecter le vin au quotidien des gens, dans le respect du produit et de ceux qui le font.
À condition d’être transparents sur les procédés et exigeants sur la qualité, les vins en canette pourraient enrichir notre culture œnologique plutôt que la dénaturer. Comme pour le vin nature, les bag-in-box ou les vins sans alcool, c’est une nouvelle facette d’un monde en constante évolution, où tradition et modernité cohabitent plus qu’ils ne s’excluent.

